Le téléphone pleure
« E-cou-teuh, Maman est près de toi, tu peux lui dire Mamaaaaaaan c’est quelqu’un pour toi ». Ah, il est loin le temps où, pour pouvoir joindre quelqu’un par téléphone, il fallait prendre le risque d’appeler chez lui et risquer de se taper trois longues minutes de conversation avec une gamine complètement reloue. Parce que, je ne sais pas si vous avez remarqué, mais ce genre de scénette ne pourrait plus arriver de nos jours : si Claude François voulait joindre sa meuf, il n’aurait qu’à l’appeler directement sur son portable. Et si elle ne répondait pas, il pourrait quand même la bombarder de textos. Et il pourrait faire exactement la même chose sur sa boîte mail. Et même qu’il pourrait aussi vérifier qu’elle n’est pas connectée sur Facebook, et pourrir son mur de messages au passage. Ou encore la tweeter sur Twitter. Bref, la pauvre, n’aurait plus aucune chance d’éviter cette merde blonde en chemise à paillettes qui cherche désespérément à lui parler, et ça ne servirait plus à grand-chose pour elle de continuer d’utiliser sa gosse comme rempart.
Hé oui, parce que figurez-vous que les temps ont changé. Elle est finie l’époque où il fallait prendre cinq minutes pour composer un numéro en tournant comme un couillon un cadran avec son doigt, et où vous risquiez la tendinite à chaque conversation à cause du poids du combiné. Maintenant, on est en plein dans la société de communication, vous savez, cette société où vous êtes devenu ultra-joignable, cette société qui sait tout le temps où vous êtes et qui s’amuse à le dire à tout le monde, cette société qui vous vend toutes sortes d’appareils qu’elle vous présente comme ultra-révolutionnaires, en vous faisant croire que si vous ne vous en équipez pas, vous ne serez qu’un gros ringard attardé. Désormais, grâce à elle, on peut vous appeler n’importe où, n’importe quand, quoi que vous fassiez, peu importe avec qui vous êtes. Et il paraît que c’est génial.
Parce que, c’est quand même une grosse maline, cette société de consommation. Elle n’a qu’un mot à la bouche : la liberté. Elle nous le sert tout le temps, et à toutes les sauces. La liberté est son idée fixe. C’est pour que vous soyez libre qu’elle fait tout ça pour vous. Comment continuerez-vous à vivre si vous n’achetez pas le dernier iPhone (qui en plus fait aussi thermomètre anal grâce à son nouveau stylet) ? Et comment appelleriez-vous les Chinois que vous ne connaissez pas sans le super forfait qu’elle vous propose avec ? Vous ne voudriez pas prendre le risque de continuer à évoluer sans vous munir de la nouvelle montre-portable de Samsung, avec laquelle vous n'avez pas du tout l'air d'un con quand vous parlez à votre poignet ? Hein ? Quoi ?? Comment ? Qu’entends-je ? Vous me dîtes que si, vous pouvez faire tout ça ? Hérétique va ! Vous n’êtes pas normal, il est temps que vous vous fassiez soigner ! On n’est plus dans les années 1980 man, il faut vivre avec son temps !
Ah ouais ?! Et bien écoutes moi bien connasse : je ne considère pas qu’être joignable 24h/24 et 7 jours/7, ce soit de la liberté, mais plutôt l’inverse, si tu veux tout savoir. Je considère que la VRAIE liberté, c’est de pouvoir décider de ce qu’on va faire de son temps libre, et de s’affranchir de toutes les contraintes qui pourraient vous tomber dessus par l’intermédiaire de l’appel ou du message d’autrui. Je considère que LA liberté, c’est de passer une journée, tranquille, pénard, avec sa meuf, rien qu’avec elle, sans qu’un connard ou une connasse ne vienne troubler cette tranquillité et ce bonheur en faisant vibrer mon portable ou notifier mon ordinateur. La Liberté, avec un grand L, c’est s’affranchir de tous ces appareils qui vous enchaînent à votre quotidien, qui réduisent à néant votre marge de manœuvre, et qui vous empêche de vivre comme vous l’entendez. Et donc, ce n’est pas vivre avec une carte Sim agrafée sur la peau des couilles.
Sur ce, chère Société de communication, je t’emmerde. Signé : le vieux con qui ne vit pas avec son temps.